Le film de Claude Hirsch donne tort à ceux qui affirment que la classe ouvrière n´existe plus, ou qu´elle a changé de nature : grâce à une série d´entretiens in situ, les ouvriers racontent leur quotidien, rythmé par des cadences infernales, des pauses déjeuner très rapides et un univers centré sur la production de biens matériels. Pas de nom d´entreprise, pas de lieux reconnaissables, le film montre une forme de permanence : malgré les évolutions technologiques et l´explosion des services, la condition ouvrière ressemble à celle de l´époque du fordisme. Nous entendons dans le film le terme d´OS (ouvriers spécialisés) et retrouvons la distinction entre main d´œuvre qualifiée et main d´œuvre non qualifiée. Il y a même en filigrane presque comme un clin d´œil au film de Chris Marker, Joli Mai (1963), qui s´appuyait entre autres sur des témoignages similaires d´ouvriers au début des années 60. Mais nous ne trouverons pas de trace d´une réflexion politique sur les conditions d´organisation d´une émancipation ouvrière. Cette galerie de portraits vient nous rappeler que nos sociétés dites postindustrielles, toujours centrées sur les postulats de la croissance illimitée et de la productivité, ont besoin d´une main d´œuvre anonyme. Formellement, le spectateur est installé dans le temps subjectif de la condition ouvrière : l´usine se transforme en décor de théâtre et les ouvriers deviennent les acteurs de leur propre vie. Le spectateur peut regretter que cette série de rôles fige quelque peu le film, mais c´est précisément l´intention du réalisateur : le film apparaît monotone, tout comme l´est la condition de ceux qui travaillent dans ces usines, entourés par la tôle et un monde hostile. À l´heure où d´aucuns estiment que le prolétariat a disparu, ce film vient rappeler au contraire que nos sociétés continuent à privilégier ce mode de fonctionnement.