Le Plaidoyer d’un fou de Strindberg constitue un objet d’étude particulièrement intéressant du point de vue traductologique. Rédigé par Strindberg directement en français en 1887-1888, il ne parut que cinq ans plus tard, et alors non en langue originale, mais en traduction allemande. Cette traduction a, à son tour, servi de texte de départ pour la première traduction suédoise, non autorisée par Strindberg. Elle a aussi mené à l’inculpation de Strindberg, de l’éditeur et du traducteur devant le tribunal régional de Berlin sur la base du code pénal allemand en vigueur à l’époque. Étant donné les circonstances complexes de traduction et de réception de ce roman autobiographique, il n’est guère surprenant que cet ouvrage ait fait l’objet de nombreuses études spécialisées (littéraire, linguistique, traductologique et, plus récemment, de genre). Ces études ont souvent constaté des tendances de nivellement, notamment dans les passages qui traitent de l’amour et de la haine, de l’adultère et de la sexualité, de la masculinité et de la féminité. C’était justement pour le contenu prétendument illicite du roman que Strindberg fut inculpé.
Le but de notre communication est double. Nous proposerons d’un côté une analyse systématique de l’ensemble des passages du Plaidoyer traitant de ces thèmes, afin de nous prononcer de manière plus sûre sur le degré de censure manifeste dans différentes traductions. Deuxièmement, nous développerons un modèle explicatif capable d’illustrer les causes et les effets de la censure observable dans une œuvre littéraire. Pour ce faire, notre analyse tiendra compte des circonstances réelles accompagnant les processus de traduction et de réception du Plaidoyer. En prenant en compte le faisceau de facteurs - littéraire, linguistique, social, juridique, politique - qui influent sur le travail du traducteur, nous espérons proposer un modèle explicatif pertinent pour d’autres textes, d’autres genres et d’autres auteurs également.